Jean Joseph Rabearivelo, un grand poète malgache

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Il y a 64 ans, le 22 juin 1937, disparaissait à l’âge de 36 ans, Joseph Casimir Rabe ou Jean-Joseph Rabearivelo, l’un des plus célèbres poètes que la Grande Ile ait jamais connu au XXè siècle. Issu de la caste noble des Zanadralambo d’Ambatofotsy, il s’est distingué par la précocité de son talent littéraire et sa parfaite maîtrise de la langue de Molière. Premier Malgache à avoir inscrit son nom dans l’Encyclopédie universelle de la poésie, Jean-Joseph Rabearivelo est aussi membre de l’Académie malgache (1901-1937).

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« A l’âge de Guérin, à l’âge de Deubel, un peu plus vieux que toi, Rimbaud anté-néant, parce que cette vie est pour nous trop rebelle et parce que l’abeille a tari tout pollen, ne plus rien disputer et ne plus rien attendre, et, couché sur le sable ou la pierre, sous l’herbe, fixer un regard tendre sur tout ce qui deviendra quelques jours des gerbes ». Jean-Joseph Rabearivelo, dans ce dernier poème en guise d’adieu à sa famille et ses amis, méditait sereinement sur sa mort volontaire. Son journal intime révélera les détails de son suicide.

Il entama son départ vers l’au-delà dans l’après-midi du 22 juin en ayant pris soin d’éloigner de la maison sa famille.

« 14h moins 9 de mon horloge, je prends quatorze pilules de 0,25 de quinine pour avoir la tête bien lourde. Un verre d’eau pour l’avaler ». Tiré à quatre épingles, en smoking et en chemise de cérémonie, il commence à rédiger ses dernières volontés. Entre autres, que la colonie édite ses « Vieilles Chansons des pays d’Imerina ».

Puis rédige des lettres pour ses amis, en particulier Robert Boudry et à Jacques Rabemananjara. A ce dernier, il écrivit « Je te fais légataire testamentaire de mes oeuvres. Je te passe le flambeau, tiens le bien haut. Tu me reprocheras cette mort, mais le Galiléen, lui aussi, a choisi un genre de suicide ».

ACTA EST FABULA

« 14h 37. L’effet de la quinine commence. Bientôt, dans un verre, un peu sucré, plus de dix grammes de cyanure de potassium… Toute ma pensée entoure tendrement les miens… Je lis Mary, aie un métier, le plus difficile te servirait encore le mieux. Apprends et saches bien tailler et coudre pour les femmes. Bientôt t’arrivera le livre-prospectus de l’Ecole de couture. Inscris-toi pour des cours complets. »

« 15h moins 9, ça sonne, ça sonne,… Fermer les yeux pour voir Voahangy et commencer les adieux silencieux aux chers vivants. J’embrasse l’album familial… j’envoie un baiser aux livres de Baudelaire que j’ai dans l’autre chambre. »

« 15h 02, je vais boire, c’est bu,… Mary. Enfants. A vous mes pensées, les dernières,… j’avale un peu de sucre. Je suffoque. Je vais m’étendre… »

L’effet foudroyant de la cyanure ne tarde pas à réagir. Acta est fabula! (la pièce est jouée). Suit un mot informe, inachevé quelque chose comme bonsoir, ou une signature.

Le lendemain, à l’aube, à la découverte de son corps, sa famille entière s’effondra. Très vite, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre et mit la capitale en émoi. Comment a-t-il pu en arriver là? se demande-t-on ici et là. En réalité, bien avant ce suicide, Rabearivelo a connu au cours de ses dernières années une vie très agitée.

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APPRECIE PAR LES MILIEUX LITTERAIRES ETRANGERS

Le poète, de son vivant, a toujours été fasciné par la mort. On le ressent dans bien de ses écrits comme « Presque-Songes, Traduit de la nuit, Chants pour Abéone ». A la lumière de l’astrologie, il était persuadé qu’il est né sous une mauvaise étoile et que les martiens comme lui connaissent toujours une fin violente. Selon Robert Boudry, dès 1929, il rédigeait déjà ses dernières volontés, et qu’en 1934, il avait déjà envisagé de mettre fin à ses jours. La perte de sa fille préférée, Voahangy, âgée de 3 ans le marqua profondément. Ame sensible, Jean-Joseph Rabearivelo a souffert de ne pas avoir été reconnu par les siens à l’exception d’une minorité de lettrés, alors qu’à l’étranger, les milieux littéraires de l’île Maurice, de la Réunion, de Tunis, de Paris et même de Madrid, lui vouent une profonde estime et apprécient son talent.

Amer, il sombre dans le désespoir. A ces frustrations s’ajoutent de graves difficultés matérielles. Son emploi de correcteur d’épreuves chez Louis Dussol, à l’Imprimerie de l’Imerina ne lui permit guère de s’acquitter de ses dettes. Découragé, il pense trouver dans le néant, l’oubli, la paix et la quiétude. Pourtant, il aurait pu remonter la pente, s’il avait accepté la citoyenneté française proposée par le ministre de la Colonie. Mais, c’était pour lui un acte de trahison à l’endroit de sa race, de son héritage culturel et de sa nation. Et, le destin en a voulu autrement. L’obsession de la mort a fini par avoir raison de lui.

Amer, il sombre dans le désespoir. A ces frustrations s’ajoutent de graves difficultés matérielles. Son emploi de correcteur d’épreuves chez Louis Dussol, à l’Imprimerie de l’Imerina ne lui permit guère de s’acquitter de ses dettes. Découragé, il pense trouver dans le néant, l’oubli, la paix et la quiétude. Pourtant, il aurait pu remonter la pente, s’il avait accepté la citoyenneté française proposée par le ministre de la Colonie. Mais, c’était pour lui un acte de trahison à l’endroit de sa race, de son héritage culturel et de sa nation. Et, le destin en a voulu autrement. L’obsession de la mort a fini par avoir raison de lui.

 

UNE VOCATION LITTERAIRE PRECOCE

ean-Joseph Rabearivelo abandonna ses études à l’âge de treize ans après avoir fréquenté successivement l’Ecole des Frères d’Andohalo, l’Ecole supérieure de Faravohitra, puis le Collège Saint-Michel d’Amparibe d’où il fut renvoyé pour indiscipline. Devenu autodidacte, et grâce au soutien de sa mère qui fit d’énormes sacrifices pour satisfaire sa soif de culture, il est parvenu à maîtriser le français et le malgache ainsi que l’espagnol. Et, sa vocation littéraire ne tarda pas à s’affirmer. A quatorze ans, il publie ses premiers poèmes en malgache dans la revue « Vakio ity » sous le pseudonyme de K. Verbal.

Il débutera dans la vie active comme secrétaire-interprète auprès du chef de canton d’Ambatolampy, puis comme dessinateur en dentelles chez la femme du Gouverneur, bibliothécaire au Cercle de l’Union. Au cours d’un court passage à vide, il se met à écrire et entre en contact avec les poètes, écrivains et penseurs de son temps comme Elie Raharolahy, Lys-Ber Rabekoto, Andriamifidy, le Pasteur Ravelojaona et Jacques Rabemananjara. Il intégrera le cercle restreint de l’intelligentsia malgache et entretiendra une abondante correspondance avec des écrivains du monde entier en particulier avec ceux des îles voisines et d’Europe.

Il prêtera sa signature à de nombreux journaux français et malgaches de l’île tels « Journal de Madagascar, Capricorne, Takariva Alakamisy, Madagascar, Tanamasoandro, Maraina Vaovao, Gazetintsika, Madagascar Vaovao, Tribune de Madagascar, Mongo, Le petit Tananarivien, Franco-malgache, l’Echo malgache,… ».

Le 5 août 1931, il fonde avec Charles Rajoelisolo et Ny Avana Ramanantoanina le journal « Fandrosoam-baovao ».

Il légua à la postérité toute une série d’oeuvres dont « La coupe des cendres (1924), Sylves (1927), Volume (1928), Enfants d’Orphée (1931), Presque-Songes (1934), Traduit de la Nuit (1935), Imaitsoanala (1935) et Chants pour Abéone (1936) ». Il reste un des meilleurs poètes malgaches d’expression française. « Maintenant qu’il n’est plus, nous saisirons plus que jamais sa valeur et nous comprenons quelle place il a occupé parmi nous », dira Jacques Rabemananjara sur sa tombe le 24 juin 1937 à Ambatofotsy.

Mamy Rakotomanga
Avec la collaboration de Daniel Raherisoanjato
Enseignant-Chercheur à l’Université d’Antananarivo

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